On pense souvent que le travail de thèse est un travail solitaire. Et c’est vrai pour une partie du travail : personne n’est à côté de vous quand vous êtes derrière votre pile de livres, personne ne vous tient la main dans les phases de rédaction. Mais pour beaucoup d’autres domaines un travail de thèse est habité : lors de la formation et ses occasions de croiser tant d’étudiants et étudiantes différents, lors de réunions ou d’une résidence d’écriture avec les collègues du laboratoire, lors d’une collaboration entre doctorants et doctorantes étudiant autour d’une thématique de l’Ehpad, ou pendant l’enquête avec les entretiens et les rencontres avec les professionnelles et professionnels.
Travailler avec les autres ou faire travailler les autres a été un des fils rouges de mon parcours professionnel. Cette année, cela a pris des formes assez nouvelles : je me retrouve à travailler sur des objets très différents de ce que je connaissais dans l’Éducation nationale, avec des personnes qui ont trente ans de moins que moi, parfois venues de disciplines qui me sont très étrangères comme les maths appliquées à la mécanique, la biologie, l’intelligence artificielle en informatique.
Lors de Consultdoc, la formation doctorale au conseil, le groupe de quatre doctorantes et doctorants dans lequel j’étais a reçu le « prix de la cohésion de groupe ». Il s’agissait de trouver ensemble des solutions à une problématique qui nous était soumise par une entreprise. Ce « prix de la cohésion de groupe » signifie que des personnes extérieures, qui nous ont suivis sur les trois jours, ont estimé que notre travail en avait été marqué. Mais pour quelles raisons ? Qu’est-ce qui, dans un autre contexte, pourrait être reproductible ? La cohésion de groupe, on la recherche si souvent.
S’approcher…
Le dictionnaire de l’académie française définit la cohésion comme « l’union étroite entre les différentes parties d’un tout. » Il est certain que l’on va devoir s’approcher très près des autres, pour leur montrer ce que l’on apporte avec soi. Il va falloir s’approcher d’autant plus près que ce que l’on apporte chacun est parfois largement inconnu des autres et que va s’imposer le besoin de construire des ponts de compréhension. Dans notre groupe, nous avons ainsi vu naitre les ponts de compréhension qui nous ont ouverts à des richesses et des limites de l’intelligence artificielle, ou sensibilisés à des formes de management marquées par l’intelligence humaine. Nous pouvions alors tous puiser dans ces nouvelles ressources partagées.
A distance…
S’il est question de proximité et de contact, toutefois la cohésion va demander de maintenir une distance suffisante. Distance par rapport à chacun des membres du groupe, d’abord, pour mieux observer et chercher à comprendre. Il s’agit de repérer peu à peu chez chaque personne ce qu’elle porte de meilleur pour le groupe, pour atteindre l’objectif, et ce qui chez elle pourrait poser problème au fonctionnement, à l’objectif. Et cette distance concerne aussi « soi-même dans le groupe ». Ainsi, j’étais consciente que je pouvais apporter mes principes et mes astuces pour tenir le temps, mais les autres membres m’ont ramenée à un sens des réalités au moment de construire la présentation : on gagnerait à le faire ensemble et pas selon mes habitudes.
Solidaire sécurité
Il y est aussi question dans la définition d’une « solidarité entre les membres d’un même groupe humain assurant son homogénéité. » Au départ, le groupe était surtout marqué par son hétérogénéité, de disciplines et d’âge certes, mais de personnalités aussi. Toute caractéristique individuelle pouvait être un bénéfice pour le groupe, comme être plutôt à l’aise à l’oral, ou plutôt réfléchi et mesuré. Mais toute caractéristique pouvait devenir un problème qui empêcherait de rendre à temps un travail de qualité. La solidarité, je la situe dans la précieuse capacité collective à dire clairement à un des membres ce qui pose problème et à cette personne de l’entendre et d’en tenir compte. La solidarité, c’est alors une sorte de filet de sécurité qui va protéger chacun de ses membres lors de cette délicate opération, pour qu’il sorte grandi, et non abimé par l’expérience. Un fil de sécurité qui va sauvegarder l’homogénéité du groupe aussi.
Cohérence co-errante
Dans le même dictionnaire, « cohésion » est enfin rapproché de « cohérence », cette « liaison logique et harmonieuse entre les idées ». Si cette cohérence est désirée, la co-errance sera toutefois longtemps l’invitée. L’incertitude est en effet l’air dans lequel les doctorantes et doctorants vont chercher ensemble, habitués qu’ils sont à le vivre au cours de leur travail de thèse, à « faire avec » sans stress excessif, en sachant qu’à la fin, ça va aller. En principe. L’incertitude va conduire à chercher ensemble en partant, un peu, pas trop, loin des autres et loin de soi. Et chacun et chacune reviendra nourrir le travail, portés par cette cohésion qui rapproche et sépare, protège et fait grandir.