Faire de la sociologie, c’est lire les études existant sur son sujet. Et c’est enquêter soi-même. Pour l’enquête, je m’appuie sur un questionnaire, sur le travail du groupe participatif d’une vingtaine de directeurs et directrices d’Ehpad et sur une cinquantaine d’entretiens.
Les entretiens, il est possible de les faire par téléphone, en visio ou en présence. Les faire en présence, ça veut dire que l’on se rend sur le terrain. Sur les terrains. En thèse, on n’a généralement pas de financements pour cela, alors c’est système D, les amis et la famille pour réduire les frais et joindre l’utile à l’agréable.
Mais pourquoi choisir d’aller sur place alors que les moyens techniques facilitent tant les visios ?
𝗟’𝗲𝗻𝗾𝘂𝗲̂𝘁𝗲 𝗱𝗲 𝘁𝗲𝗿𝗿𝗮𝗶𝗻 𝗰𝗮𝘀𝘀𝗲 𝗹𝗲 𝗰𝗮𝗱𝗿𝗲
Enquêter sur place, c’est d’abord sortir d’un cadre rigide de travail, des périodes inévitables d’ordinateur entre les murs de son bureau, de minuteur obstiné et de planning contraint, de temps d’exercice physique que je m’impose et d’horaires de coucher raisonnables.
En enquête, j’entre dans une sorte de continuum où ne compte presque plus que la recherche. Je peux travailler très tard, ce que je ne fais presque jamais, je ne suis plus interrompue par les obligations matérielles. Je suis focalisée sur les rencontres, et sur faire en sorte qu’elles se déroulent dans les meilleures conditions, les conditions qui conviendront au type d’entretien. Pendant une heure, deux heures, trois, quatre heures, dans un café, un local de coworking, un bureau de direction ou une salle de réunion d’Ehpad, je me moulerai dans le temps, le désir et le rythme de la personne qui m’accueille.
𝗟’𝗲𝗻𝗾𝘂𝗲̂𝘁𝗲 𝗱𝗲 𝘁𝗲𝗿𝗿𝗮𝗶𝗻 𝗼𝘂𝘃𝗿𝗲 𝗹’𝗲𝘀𝗽𝗮𝗰𝗲
Je ne voyage qu’en transport en commun. Je n’ai donc pas le souci de la route, je me laisse porter. Il y a quelque chose de doux dans le train, cocon propice à la réflexion flottante, au travail en temps limité. Je suis peu attentive au paysage. Je vais d’un point à un autre. En bus local, puis à pied, j’ai par contre une attention sociologique, les personnes que je côtoie me renseignent sur le quartier de l’Ehpad où je vais.
Ensuite je marche, beaucoup, je m’imprègne de la ville, du lieu que je découvre, de ses couleurs, de ses échos.
𝗟’𝗲𝗻𝗾𝘂𝗲̂𝘁𝗲 𝗱𝗲 𝘁𝗲𝗿𝗿𝗮𝗶𝗻 𝗿𝗲𝗺𝗲𝘁 𝗲𝗻 𝗷𝗲𝘂
Souvent je dors peu et mal pendant les périodes d’enquête, ce ne sont pas des périodes reposantes. Cela met mes sens, mes émotions plus en alerte. Cette intensité est renforcée par la densité : faire plusieurs entretiens par jour, sur plusieurs jours, c’est éprouvant. C’est à dire que physiquement, émotionnellement, moralement parfois, on doit puiser en soi pour continuer à bien recevoir, à bien comprendre. Jusqu’à, parfois, entendre autrement ce que l’on pensait déjà savoir.