Avec philosophie : l’esprit et la méthode

Au hasard heureux de mes rencontres en présence ou à distance, vous verrez fleurir sur ce blog des dialogues avec des personnes à qui j’ai eu envie de poser des questions, pour avoir des regards neufs. Dans cet article, c’est Eugénie Vegleris, professeure de philosophie devenue consultante philosophe, qui a accepté de m’aider à définir ce que l’on peut entendre par “Avec philosophie”.

Eugénie
“Avec philosophie » pourrait introduire une méthode non polémique, non érudite, une méthode de discernement qui a le sens de la complexité, qui s’éclaire quand il le faut par des références opportunes. Cela pourrait devenir une sorte de label comme « appellation contrôlée » pour signaler une façon déterminée d’aborder les questions vitales pour notre humanité : penser les métiers de l’éducation nationale avec Φ, penser les métiers de la santé avec Φ, mais aussi penser la santé, penser la culture, penser la sécurité, penser la science, penser l’entreprise, penser la politique, penser l’environnement, penser la consommation, penser la communication, penser la violence… La formule « avec Φ » pourrait avoir un bel avenir.

« Flowerez Fracture » (Fêlure fleurie) – Paula Norman

Christine
Vous parlez de “méthode de discernement qui a le sens de la complexité”. Pour moi, la philosophie montre en effet les choses autrement. Montrer, ce n’est pas mettre une image en pleine lumière. C’est naviguer entre cacher et montrer, entre visible et invisible. C’est laisser apparaitre, comme dans le tableau de Paula Norman, “Fêlure fleurie”, qui illustre cet article. Je dirais que penser, analyser avec philosophie amène à un dévoilement progressif de ce qui nous entoure, avec des facettes qui sont autant d’hypothèses, des hypothèses non pas contradictoires mais complémentaires.

Eugénie
Je crois que l’acte de philosopher comporte deux orientations distinctes que les uns séparent et les autres relient. La première transforme les réalités en “objets” à comprendre. Ainsi, penser les métiers de l’éducation exige qu’on déploie les points de vue les plus divers, que l’on tente plusieurs questionnements afin de “dévoiler” ce qu’un regard usé par la routine ou aveuglé par les préjugés ne voit pas. La seconde orientation se tourne vers les conditions de la pensée et de l’existence. Ainsi, l’esprit rencontre le “mystère” de ce  pouvoir exclusivement humain qu’est le parler/penser et la condition corrélative d’un vivant conscient du temps et de la mort. Envisager ce mystère “avec philosophie”, ne pas chercher à théoriser une réponse, c’est à la fois accepter les limites du philosopher et y puiser l’énergie pour cet entretien infini dont parle Maurice Blanchot. La question est le désir de la pensée. La réponse n’apaise pas la question…

Christine
Ce serait alors une posture plus qu’une méthode ?

Eugénie
Les deux. Inséparablement. Une posture : désir de comprendre. Une méthode : discerner, critiquer, approfondir, ouvrir.

Christine
Penser me semble conduire naturellement à faire penser autour de moi : partager ce qui m’aide, une idée, une citation, pour que cela puisse éventuellement être utile aux autres, ou pour que d’autres contredisent mon raisonnement, l’enrichissent. Avec philosophie, cela vous parait s’accommoder plutôt de la solitude, plutôt de la compagnie ?

Eugénie
“Avec philosophie”, consiste aussi, selon moi, à éviter les “ou/ou” et à envisager les “et/et”. En l’occurrence, le couple solitude/compagnie me semble indispensable. Pour pouvoir s’enrichir des autres et les enrichir sur le plan de la compréhension, il est nécessaire de se retirer en soi pour dialoguer avec soi-même.

Christine
Je poserais bien la question de la finalité, individuelle mais surtout collective. Je pense aux personnes de l’environnement professionnel, pour m’en tenir au titre de ce blog. Dans penser, travailler “avec philosophie”  se jouerait quelque chose autour de l’émancipation : penser participerait à éroder certains poids, rigidités, préjugés ? Est-ce qu’il y aurait ici le désir et la possibilité de créer une communauté de personnes qui cherchent à s’élever, à être plus clairvoyantes, individuellement et les unes avec et grâce aux autres ? Est-ce une utopie pure ? Ou est-ce que cela aurait à voir avec l’intelligence collective dont on parle beaucoup ?

Eugénie
Je crois qu’il est possible de créer une communauté car il existe plus de personnes formidables qu’on ne pense et que, par ailleurs, un échange bienveillant dans le but de comprendre éveille et développe  l’intelligence. La question pratique est : quelle porte d’entrée? Les  gens se réunissent de façon créative autour d’enjeux professionnels ; la  philo, quant à elle, apporte l’esprit et la méthode de ce dialogue.

Si vous avez envie d’un dialogue de ce type sur un sujet, une idée qui apparait ou qui manquerait sur ce blog, contactez-moi. Je suis tout à fait ouverte aux échanges.