Trois mois quand on a 17 ans

Pour éviter les crispations inutiles autour de certains comportement de 14 ans, j’ai souvent eu besoin de me rappeler que les élèves que j’avais en classe allaient devenir des adultes, des parents. D’autant plus facile de m’en souvenir que j’ai pour certains eu leurs propres enfants comme élèves. Pour Pierre, il n’a pas été nécessaire d’attendre aussi longtemps.

Juin 2000. Appelons-le Pierre. Brun, 1m80, passionné de mécanique, Pierre est en 3ème et aura bientôt 17 ans. Il est passé en 3ème technologique. Ce n’est pas a priori un élève qui nous pose de gros problèmes. Peut-être son intégration dans cette classe aménagée n’y est-elle pas étrangère. Les objectifs prioritaires que nous nous étions fixés n’étaient pas seulement « le programme » mais aussi la mise en confiance et le mieux-être des élèves qui, sur un plan scolaire, présentaient tous de grosses faiblesses. Pierre n’est pas violent ; il parle haut, fait de la résistance à ce que proposent les adultes. « Non, je ne participerai pas au voyage scolaire. Non, je n’enregistrerai pas la chanson pour le CD avec ma classe. ». C’est justement durant l’enregistrement auquel il ne souhaitait pas participer que j’ai donné ce sujet à Pierre : « Comment se sont passées tes quatre années au collège ? Qu’as-tu apprécié, que n’as-tu pas aimé ? Qu’aurais-tu pu faire pour que cela se passe mieux ? Qu’aurais-tu voulu y trouver ? Que faudrait-il changer ? ». Pierre s’est penché sur sa feuille. Morceaux choisis.

« Cette année s’est très mal passée. Je viens à l’école juste pour voir les copains et pour rigoler. Quand je suis en cours je m’ennuie. C’est pour ça que je suis heureux de partir en apprentissage. J’ai trouvé mon patron et ceux qui me disaient que je ne ferais rien dans ma vie, ça leur cloue le bec.
Je n’aime rien au collège, on dirait une prison. Ce qu’il faudrait, c’est qu’on ait un coin tranquille, à nous. C’est pour ça qu’en musique je me mets dans un coin, au fond. Quand je chante vous venez à chaque fois me voir. Je ne vous en veux pas personnellement mais je n’aime pas les chansons qu’on chante. De toute façon, je déteste la plupart de mes professeurs, je n’aime pas ma classe à part 3 ou 4 personnes. Tous mes autres copains sont dans d’autres classes et avec eux au moins je peux parler des mêmes choses, on a les mêmes goûts.
Heureusement il me reste plus qu’un mois à tenir. Depuis le début de l’année je suis dans ma bulle, mon cocon, pour essayer de ne pas devenir comme eux : des gamins. C’est peut-être dû au décalage de l’âge.
A tous les trimestres, sur mon bulletin, il y avait écrit « pourrait faire mieux ». Je ne sais pas s’ils ont une tête pour réfléchir, mais c’est ce que j’ai essayé de faire pendant ces 4 ans de collège. Je sais que je suis difficile, que j’ai du répondant, mais de toute façon, les profs ont leurs têtes, alors si la tienne leur plaît pas, c’est pareil. On peut rien y faire, c’est le système qui veut ça. Voilà c’est tout. ».

Septembre 2000. La rentrée est encore toute proche. Au cours d’une promenade en famille, je rencontre Pierre. Tout sourire, il me fait la bise. Je lui présente mon mari. En lui tendant la main, il le salue d’un « enchanté » très distingué. L’air satisfait et fier de lui, il me raconte sa nouvelle vie entre le CFA et son patron. Intarissable. Mes enfants piaffent d’impatience. Alors, il prend congé en me lançant cette phrase : « Et donnez bien le bonjour à Monique et Jean ! », lesquels Monique et Jean étaient ses professeurs de français et technologie. Signe qu’à 17 ans, trois mois suffisent pour passer dans la cour des grands.