Echange avec un enseignant (1/3) : les règles dans une discussion

Suite à un travail collectif sur les conditions d’une discussion, j’ai proposé un échange par écrit à un enseignant qui se montrait à la fois pertinent et intéressé par le sujet, tout en étant plutôt défavorable, ou du moins sceptique vis-à-vis de ces règles. Dans cet article, l’échange porte sur les règles de parole.

Christine Vallin
Vous avez dit approximativement lors d’un débat : « les règles de parole, ça fait perdre le côté vivant d’une discussion », si ma mémoire est bonne. Et cette phrase m’intéresse beaucoup. Pourriez-vous m’en dire plus ?

Monsieur Jean
Pour être précis, un point parmi d’autres, je suis d’ailleurs en train de les recenser, a été l’objet de ma circonspection : celui qui consiste à affirmer que ce n’est pas celui qui lève la main en premier qui a la parole. Ce point de détail mérite qu’on s’y attarde : non seulement, il affirme de fait que l’animateur désigné ou non finit par avoir toute puissance et les arguments contradictoires seront développés plus tard, comme on repasse les plats quand ils sont froids.. C’est lui qui décide de l’ordre. Ceci heurte mon esprit.

CV
Vous soulignez un écueil possible et très important concernant la légitimité, les compétences et le pouvoir de l’animateur. Tout d’abord, je veux bien revenir sur ce qui vaudrait de de ne pas laisser la parole suivre un cours disons naturel pensée-parole : quelqu’un a une idée, il l’énonce devant le groupe. Instaurer des règles de parole aurait selon moi pour objectif tout d’abord d’éviter des prises de pouvoir de la parole par certains au détriment d’autres (les personnes qui sont très à l’aise à l’oral sont favorisées sur celles qui manquent de pratique d’expression devant un collectif, les personnes bien installées dans un groupe sont favorisées par rapport à celles qui viennent d’arriver, celles qui ont une bonne confiance en elles et dans les autres sont favorisées par rapport à celles qui sont en retrait. il s’agit donc de remettre pour moi de la justice là où il y aura la loi naturelle du plus fort, pour dire vite.) Ensuite, le délai incite selon moi à une meilleure qualité de ce que l’on va dire : on dépasse l’idée première qui « vient en tête » et on la construit un peu plus. Ces deux éléments concernent selon moi aussi bien la discussion avec des élèves qu’avec des adultes, à l’école et dans la société.

Monsieur Jean
Les règles de parole sont évidemment indispensables. Loin de moi l’idée de le nier. Quand je dis peu ou prou que trop de rigidité dans l’application de la règle nuit au débat, je n’affirme pas pour autant qu’il n’en faut aucune. Je crois que comme pour toute loi, il y a deux aspects qu’il faut envisager, celui de la lettre et celui de l’esprit. L’aspect psychologique que vous évoquez pour la prise de parole en public est évidemment primordial, tout comme celui de l’intérêt porté au thème, ou celui de la volonté réelle d’y participer ou de le bloquer par une non-participation volontaire, et tant d’autres aspects que vous êtes certainement en train de lister. Cependant, il me semble que du fait justement du caractère psychologique de ce facteur, la répartition méthodique de la parole n’est pas un gage suffisant qui puisse assurer une participation réelle. Pire, elle peut parfois pour certains, mettre mal à l’aise dans la mesure où elle implique une comparaison naturelle, et de la quantité et de la durée de chaque intervention. Pour résumer, les règles méthodiques ne garantissent ni équité, ni sincérité, ni dynamisme. C’est leur utilisation intelligente qui pourrait le permettre, d’où le rôle primordial du directeur de débat dont vous nous reparlez juste après.

CV
La question serait peut-être de savoir quelles règles sont indispensables pour sécuriser le débat sans le rigidifier. Qu’en pensez-vous ?

Monsieur Jean
C’est ça. Il est de notoriété publique que plus les règles sont nombreuses, plus elles rigidifient, moins elles sont appliquées, plus elles sont critiquées. Il me semble que la seule, au stade de ma réflexion , qui vaille la peine d’être appliquée est celle qui consiste à respecter le temps d’écoute qui n’est pas nécessairement un temps de compréhension de l’autre mais plus souvent un temps de respect des règles, comme une mi-temps.