Y a-t-il une méthode pour mieux penser et faire penser la réalité ?

Penser et faire penser, pour agir et faire agir : voilà qui donne une feuille de route dans le métier d’inspectrice, mais ne dit pas encore comment s’y prendre.

Depuis que je suis inspectrice de l’Éducation nationale, je me dis qu’un cadre a nécessité à penser, et à penser large. Au départ c’était juste une intuition, “Penser large pour agir juste”, c’est le titre que j’avais en tête pour la présentation que j’ai faite à l’oral du concours. Je ne savais pas vraiment sur quoi cela pourrait porter concrètement. En entrant dans le travail j’ai vu… que je ne voyais pas bien tout ce qui était en œuvre, et sur lequel j’avais la possibilité d’intervenir. Des éléments restaient dans ma vision périphérique et il fallait que je fasse la démarche volontaire de tout rattacher. Et au fil des années j’ai constaté que j’arrivais mieux à me décentrer et à élargir mon regard.

Puis suite à une recherche en master et à l’entretien avec un certain Pierre j’ai formulé les choses ainsi : nous sautons généralement des quoi aux comment, mais nous négligeons les pourquoi (les raisons profondes) et les pour quoi (les finalités). Comme un cap que je me donnais et proposais aux personnes avec qui je travaillais, j’ai appelé certaines années « l’année des pourquoi » (et des pour quoi). Et dans nos chantiers principaux, dans la formation des directeurs par exemple, je me suis efforcée de remettre en question ce qui passe parfois pour des évidences. J’ai essayé de remonter au-delà de là où on commence généralement, par exemple dans la question des élèves qui posent des problèmes de comportement.

Un cadre d’analyse
Quelques années plus tard, la question que j’ai envie de me poser, c’est “Est-ce que cela parait une méthode fertile ?” Cela ressemble je pense au cadre d’analyse de situations professionnelles de Jean-Pierre Obin, passant par le droit, la déontologie, les finalités pour l’élève, etc. Ça me parait depuis bien longtemps intéressant et utile. Mais alors, qu’est-ce que je cherche encore, qu’est-ce que je trouve en plus dans la philosophie ? Des personnes que j’ai interviewées pour mon mémoire de master sont capables d’inventer ce qui va permettre le pas de côté de la pensée, le coup de lumière dans un coin d’ombre, la mise en interrelation de deux éléments séparés, comme cette personne qui a dit un jour en réunion à propos de l’école inclusive : “Ce qui était à la marge, voire marginalisé, prend une place centrale dans les préoccupations”, ou “ Il y a à s’inquiéter de ce que ces élèves battent en brèche la notion de norme scolaire, qui pourrait porter préjudice au niveau général. Individuel et collectif se retrouvent en tension.” J’ai gardé d’un autre interlocuteur l’idée d’une alternance. D’abord aller vers la demande, le quoi et le comment, pour ne pas empêcher le travail de réflexion. En formation, les enseignants le formulent souvent en “on veut du concret”. “C’était bien parce que c’était concret”. Le problème serait sans doute d’en rester là. Penser ou faire penser n’apparait pas comme étant de l’ordre de la nécessité impérieuse. L’urgence du quotidien prend aisément la place, pour l’enseignant, le directeur ou l’inspecteur. Sans doute faut-il par contre garder en “idée de derrière”, quand on est cadre, de maintenir ouverte la fenêtre de la pensée sur le monde, la sienne propre comme celle des équipes et des partenaires, parents, intervenants. Et cette phrase de Sénèque : “Il n’y a pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va”. Le comment du pourquoi, en somme !

Dans ma montgolfière
Mon problème, je le situais aussi à la place à habiter, en tant que cadre et pour moi-même, au milieu du grand tumulte quotidien. Je prends régulièrement des temps, qui généralement passent par l’écriture et la lecture, pour revenir sur ce que j’ai vécu et préparer ce qui viendra. Et ça, c’est pour moi de l’ordre de la nécessité impérieuse, en général pendant les petites vacances, mais parfois aussi quand je sens que je manque de souffle. Je dis que lorsque je fais cela je monte dans ma montgolfière, là où les vacarmes ne sont plus que des échos lointains.
La question que je me pose maintenant c’est : dans ces sas de réflexion, lorsque je suis dans ma montgolfière donc, faut-il que je procède avec méthode et si oui, cette méthode du pourquoi-quoi-comment ? Balayer sur un sujet les causes, les finalités avant d’en arriver au quoi et comment ? Est-ce que cela suffit à faire de ce temps un temps de réflexion philosophique ? Mais peut-être bien que l’on se moque que cela en soit, la finalité étant simplement de ne pas courir immédiatement aux conclusions évidentes et parfois ressassées, pour continuer de penser plus large, pour agir plus juste.