Alors que je défends l’idée que les métiers de l’inspection évoluent dans le sens de la coopération, avec les directeurs et directrices, avec les enseignants et enseignantes, on contre parfois cette idée en me renvoyant à ce qui serait de l’ordre de la nature, de la personnalité de l’inspecteur ou l’inspectrice. Qu’il n’y aurait alors d’éthique que personnelle. Reconnaitre un caractère culturel à la coopération, dans nos organisations fondées sur le partage des tâches, irait pourtant dans le sens d’une éthique professionnelle de l’encadrement.
L’idée d’une coopération culturellement installée, acquise par la formation et développée dans l’exercice quotidien du métier, la fait sortir de l’aléatoire des parcours personnels et professionnels. Soutenir que l’on peut apprendre et exercer collectivement la coopération fait éviter deux impasses où on voudrait parfois l’enfermer : celle de l’individuel qui la fragilise, et celle de la naturalisation qui la réduit. Cela invite aussi à penser la coopération par ses causes et ses finalités, ses méthodes et ses formes.
Vers une éthique professionnelle individuelle et collective de l’encadrement ?
Comment définir ce que l’on vise ? Est-ce une affaire de devoir, dans le champ de la déontologie donc, et son énonciation de devoirs, d’obligations, de normes. Une affaire d’éthique pure ? Et l’on serait peut-être dans le champ de la solidarité, ou de la « faculté de réciprocité » promue chez Paul Ricoeur si on peut le rapprocher, « visant par la sollicitude mutuelle à minorer le caractère asymétrique des relations de pouvoir dans l’organisation 1. ») Est-ce une affaire de désir, voire de plaisir à travailler de cette manière ? Eirick Prairat en parle beaucoup dans son livre “Eduquer avec tact”, à de nombreuses reprises concernant le désir, et à trois reprises pour le plaisir, “plaisir d’être ensemble”, “le langage est d’abord rencontre et plaisir” et il cite Lacroix avec “la responsabilité par rapport à la relation interindividuelle, par rapport au plaisir et à l’épanouissement d’autrui, par rapport à son bonheur (…)”. Avançons encore dans la conscience et la culture de cette éthique professionnelle individuelle et collective. Je dirais bien qu’une éthique professionnelle individuelle ne se confond pas avec la déontologie et ne se résume pas à la morale individuelle, et que cette éthique professionnelle relie les deux. Et il me semble clair qu’une éthique professionnelle collective n’est pas arrêtée par les échelons hiérarchiques, ni par rigidités des organisations de travail : poreuse et transversale, solidaire et collaborative, elle protège et soutient chacun dans sa mission. En cela, elle rejoint la coopération.
Humilité et tact
Une personne que j’interrogeais a reformulé plus clairement ce qui précédait en m’écrivant : “Alors une éthique professionnelle ne se réduit pas à la déontologie et elle ne s’identifie pas non plus à la hiérarchie institutionnelle, mais elle constitue en quelque sorte un ensemble d’exigences “transversales” où tous, subordonnés et supérieurs, se trouvent égaux.” Et moi de me demander ce qui dans ces exigences transversales relève d’une éthique personnelle, d’une éthique professionnelle individuelle ou d’une éthique professionnelle collective. Un autre interlocuteur m’écrivait aussi un jour : “Quels sont les éléments d’une éthique professionnelle dont un inspecteur devrait se revendiquer ?” Et il disait penser rapidement à deux choses : “Tout d’abord, la sagesse de penser que mon point de vue sur la conduite des apprentissages des élèves, point de vue que ma responsabilité me conduit à tenter de faire partager aux enseignants, est relatif et accepte d’être questionné. Néanmoins il n’a pas à être dilué. Ensuite, me sentir responsable de la réussite des élèves et du bien-être corrélatif des enseignants m’engage à agir avec tact et retenue. Et mon interlocuteur de rappeler Eirick Prairat qui distingue tact et civilité, le tact étant la « conscience aigüe de ce qui mérite d’être dit ou d’être fait et de la manière dont il faut le dire ou le faire [dans] la situation particulière que l’on est en train de vivre ». Si l’on prend ces deux éléments, la responsabilité relative et questionnable, et le tact et la retenue, il me semble qu’ils passent du côté de l’éthique professionnelle individuelle, et non plus seulement personnelle, dès lors que l’on en a conscience. Deux beaux exemples montrant que l’on peut construire, entretenir, et donc parler d’une éthique professionnelle individuelle et collective de l’encadrement.
NB : J’avais aussi essayé de commencer de creuser cette catégorisation entre les trois :
- Deslandes, G. (2013). Essai sur les données philosophiques du management. PUF, p.16