Jeux de mains

Avec cet article écrit en 2010, j’ai l’impression qu’après 20 ans d’enseignement je passais de moins en moins de temps à parler et de plus en plus de temps à vérifier que les élèves pensaient et faisaient.

La règle des 2A. Attentifs et actifs. C’est ce que je demande aux élèves, expliquant à quoi l’un et l’autre terme correspondent. « On est attentif quand on arrive à penser longtemps à une seule chose : à ce que dit prof. On est actif quand on cherche à comprendre, retenir ou faire ce qu’il dit. » Partant de là, je ne les lâche plus…
Systématiquement, en début de cours, Florian sort de sa trousse de quoi s’occuper tranquillement sans déranger. Deux crayons à monter, démonter, remonter et l’affaire est faite. Il pourra s’enfuir du lieu, de la consigne, du pensum sans crainte. L’art de faire sans faire. Je sais que l’on parle de certains qui vont avoir besoin de s’occuper les mains pour réfléchir mieux. Eh bien tant pis, dans ma classe ce sera un poids une mesure : « Florian, désormais tu ne regardes plus tes mains, parce que dans tes mains il y a toujours un truc qui te prend et t’emmène ailleurs. » Ça le fait rire, cette consigne.
Leurs mains, je vais les occuper ! Elles vont me servir à savoir un peu mieux ce qui se passe dans leur tête, leur degré d’implication dans le cours, ce qu’ils comprennent, ce qu’ils entendent, les réponses qu’ils ont trouvées, s’il sont d’accord ou non, le temps qu’ils ont passé sur tel exercice. Elles leur serviront à mieux se rendre compte eux-mêmes de leur attention, de ce qu’ils pensent vraiment, de leurs difficultés, de ce qui les aide. J’apprends tout cela instantanément et pour tous les élèves en même temps. La carte et le territoire de mes classes… Non, ils ne pourront pas user, s’user longtemps dans la passivité, qui bien déclinée, passe inaperçue. Ils utiliseront leurs dix doigts, de la 6e à la 3e. « Entre zéro et cinq. Zéro c’est « je suis là, mais pas vraiment là », cinq c’est « Je suis attentif et je cherche à retenir les dates de l’écrivain. » Montrez-moi pour vous. » « Poing fermé, c’est « je ne sais pas ». Pouce c’est « oui ». Deux doigts c’est « non ». Allez-y. » « Montrez-moi combien vous avez eu de réponses justes. » « Un c’est nom. Deux c’est verbe. Trois c’est adjectif. Quelle est la classe du mot « puissant » ? » Leurs mains comme signes, qu’ils sont là avec moi, qu’ils cherchent, qu’ils savent ou ne savent pas, qu’ils comprennent ou que je dois reprendre. Un cours magistral, ça se construit en collectif.

Montre-moi tes yeux
« Vos regards par ici. » Etre attentif six heures dans la journée, c’est beaucoup. Le regard, c’est une aide à l’attention pour les élèves. C’est d’ailleurs valable pour nous-mêmes. Quand dans une réunion on ne voit pas le conférencier à cause d’une tête ou d’un poteau, comme il est difficile de suivre le fil du discours. En chant, le regard vers moi, con-centration, intention au centre, sans déperdition en coups d’œil vers untel qui du coup se sent jugé, ou vers tel autre pour faire une grimace. Le regard vers moi, c’est la naissance d’un groupe qui chante. Tout est orienté vers mon visage qui demande, vers mes mains qui appellent. Leur regard vers moi, je crois bien que cela ouvre leurs oreilles sans qu’ils ne le sachent.