Cet article a été publié en 2000 dans la revue de l’APEMU, association des professeurs d’éducation musicale.
Un article qui parle de ce que savoure sans doute chaque professeur d’éducation musicale : le moment où en classe, le temps, soudain, s’arrête.
Temps et musique : dans mon quotidien, comment se conjuguent ces deux éléments lorsque le Temps prend la forme d’heures de cours et que la Musique devient « éducation musicale en collège » ? Et lorsque retentit la sonnerie, est-ce que tout est dit ?
Dans l’aujourd’hui, je me sens parfois comme une funambule perchée tout là-haut sur son fil, sous les yeux des spectateurs qui demandent à entendre ce qu’ils connaissent déjà, mais que j’aime surprendre et donc malmener. L’équilibre est fragile : un peu de Schubert à droite, ça passe ; un zest de Steve Reich encore, attention, ça bouge ; alors vite, rétablissons l’équilibre en ajoutant une chanson de Louise Attaque à gauche. Mais parfois la chute est imprévisible et, surprise, je me retrouve dans le filet. Le risque n’était pas bien grand. Après tout, j’ai tout de même ouvert une fenêtre vers la nouveauté, l’ailleurs, une fenêtre qu’ils rouvriront peut-être demain.
Parfois pourtant, l’aujourd’hui fonctionne. Le silence profond, recueilli, qui accompagne mon Carmina Burana me laisse étonnée, chaque fois chavirée. Ces trente adolescents, penchés sur le texte, comme portés par la puissance des voix, l’appel incantatoire des rythmes, je les sens si fragiles, si vibrants. Là, le temps s’arrête. Je savoure…
Aujourd’hui, je leur laisse toute liberté d’aimer ou non ce que j’apporte. Demain, ils pourront aussi librement revenir vers leur hier. La mémoire est là, marquant tout de son empreinte.
Certaines musiques sont de véritables élastiques nous ramenant à notre passé. Une chanson fredonnée vous ramène à votre premier baiser, comme une odeur de printemps vous fait revivre ce moment enfoui où vous teniez votre bébé dans vos bras pour la première fois.
On n’oublie jamais une mélodie comme on n’oublie jamais une émotion. Une mélodie, c’est une émotion. Un texte, c’est une émotion. Sachons les faire naître, elles rejailliront un jour, rassurantes ou dérangeantes, mais vivantes. Demain. Peut-être.