Le soin que j’ai à prendre de l’autre

Être inspecteur, inspectrice de l’éducation nationale, c’est se retrouver à voir de près une concentration de problèmes qui espèrent leur solution, de visages de la misère sociale, de dialogues interrompus qui cherchent une médiation. Et c’est le premier principe d’Hippocrate qui vient à l’esprit : « Au moins ne pas nuire. » Faire alors de son mieux, en tentant de ne pas faire de mal , pour prendre soin de ces autres, vulnérables et en demande.

On est là, devant des enseignants déçus ou qui ont fait une erreur, devant des équipes dans l’incertitude après un retrait de poste ou alourdies par des conflits qui n’en finissent pas. On est là, face à des parents désemparés, en colère ou un peu perdus. Près d’eux, des enfants aux grands yeux curieux ou au regard qui s’enfuit par la fenêtre du bureau. Tous sont sans doute un peu méfiants et dans la crainte, mais beaucoup comptent sur nous qui sommes à la fois service et public. Un repère dans des tourments.

Comprendre
Quand on débute dans ce métier, on peut se dire dans un premier temps que ce n’est pas pour nous, qu’on n’est pas assez fort pour le supporter, pas assez formé pour aider. Et puis très vite, on convient qu’il faut pourtant bien s’y essayer. Parce que devenir inspecteur, c’est ouvrir la boîte de Pandore : on ne peut plus ensuite faire comme si on n’avait pas vu son contenu, ni commencé d’apercevoir de quelles manières on peut, parfois, légèrement, intervenir. Pas tout seul : c’est toujours dans le collectif et hors de l’entre-soi que l’on trouve des réponses.
Le métier d’inspecteur est précieux en ce qu’il cherche la compréhension dans ce qui pourrait n’être qu’une mécanique administrative. Mais il faut trouver la bonne place, celle où l’on peut supporter sans porter. Il faut trouver la bonne distance aussi, ni trop près ni indifférent. Il faut apprendre à concilier la rigueur d’un protocole avec l’authenticité d’une écoute attentive. Il faut savoir s’appuyer sur les règles et les lois sans devenir donneur de leçon ni écrasant de son bon droit.

Accueillir et recueillir
Et parce qu’il n’y a pas de petit pouvoir, parce qu’on peut faire beaucoup de mal depuis une place d’autorité en étant si près de quelqu’un qui se retrouve sans défenses, nu pendant le récit parfois intime qu’il livre, alors, garder en soi la phrase de Lévinas : « Le visage de l’autre me renvoie à mon infinie responsabilité et au soin que j’ai à prendre de lui (1). » Devant cette « infinie responsabilité », devant le contraste entre le dénuement et notre pouvoir, accueillir et recueillir : chercher un accueil large et doux des personnes et viser le recueil le plus objectif possible des faits, des paroles. Pour ensuite, avec méthode et réflexion, grâce aux conseils et à l’expérience du collectif, analyser et chercher des solutions aux problèmes, jamais insignifiants, de ceux qui sont la société.

(1) Éthique et infini, 1982