Hiérarchie et autorité (1/4) : le roi de l’île, ou la double pensée

Comment installer, dans un système hiérarchisé comme l’est l’éducation nationale, des modes de relation et de travail qui s’éloignent des formes traditionnellement vécues sur un principe de domination soumission ? C’est une question essentielle pour développer des collaborations. Lorsqu’on se retrouve en situation hiérarchique, avec une position d’autorité, c’est très destabilisant. C’est peut-être le plus déroutant. On parle souvent des écueils que sont le laisser-faire ou l’autoritarisme. Comment habiter au mieux une fonction de ce type ? Comment éviter les chausse-trappes ? Pascal est là pour donner un repère, avec sa « double pensée ».

Penser et habiter une condition professionnelle hiérarchique, qui amène à diriger d’autres personnes, demande pour Pascal (1) de bien connaître cette condition, qu’il décrit par une image : un homme se retrouve jeté sur une île par une tempête. Les habitants de cette île y étaient à la recherche de leur roi qui s’était perdu. Une ressemblance physique entre ce naufragé et le roi leur fait prendre l’un pour l’autre. Le naufragé se laisse « traiter de roi ». Et Pascal de distinguer condition naturelle et place attribuée, dont l’homme doit demeurer conscient : il sait qu’il n’est pas ce roi que le peuple cherchait, mais il accepte d’agir en roi. « Ainsi il avait une double pensée : l’une par laquelle il agissait en roi, l’autre par laquelle il reconnaissait son état véritable, et que ce n’était que le hasard qui l’avait mis en place où il était. »

« Double pensée » écrit Pascal, avec la réflexion qui maintient en capacité de distinguer état véritable et rôle aux yeux des autres, qui donnent bien à ce roi sa légitimité de roi : « C’était par la première [pensée] qu’il traitait avec le peuple, et par la dernière qu’il traitait avec soi-même. » Apparaît ici la place de la pensée en soi et sur soi nécessaire selon Pascal pour habiter un rôle d’autorité avec suffisamment de distance, tout en agissant conformément à ce qu’on attend de nous. Surtout, ne jamais se prendre pour le roi.

De l’autorité
Pascal, en montrant que le roi, même faux, est suivi par le peuple, nous rappelle la distinction entre deux formes d’autorité, l’autorictas et la potestas, comme le fait Michel Develay (2) citant Eirick Prairat (3) : potestas correspondant à un pouvoir légal, reconnu et accordé par des instances supérieures, le « pouvoir de prendre des décisions, de commander, d’exiger l’obéissance dans un domaine donné » ; l’auctoritas émanant de la personne, traduisant « l’influence, l’ascendant, le crédit » et pro­duisant les effets de la force tout en étant le contraire même de la force. » Il semble y avoir chez le roi de l’île coexistence des deux formes, potestas en ce que le peuple reconnaît le pouvoir institué du roi, autoritas en ce que le roi investit sa fonction avec un ascendant sur le peuple. Ce qui validerait la possibilité de pouvoir diriger entre potestas (avoir l’autorité) et autorictas (faire autorité), dans un système hiérarchisé.

(1) Pascal, B. (1671). Premier discours pour la condition des grands. Mille et une nuits.
(2) Develay, M. (2013). Comment refonder l’école primaire ?. De Boeck
(3) Prairat, E., « Autorité et respect en éducation », 2003, http://leportique.revues.org/562

Hiérarchie et autorité (2/4) : la domination selon Weber

Hiérarchie et autorité (3/4) : à la recherche de l’émancipation

Hiérarchie et autorité (4/4) : vers une égalité gagnante