Parcours professionnel (2/4) : D comme Devenir

Ce que je sais pour moi, c’est qu’il n’y a pas d’un côté la vie personnelle et de l’autre côté la vie professionnelle. J’aime beaucoup les vieux chinois qui ne séparent pas le monde en deux, ni en catégories, mais qui vont le voir comme une respiration, un mouvement continu.

Dans mon travail, j’ai eu la chance de pouvoir toujours penser, créer, lire, écrire. J’ai toujours cherché à relier les choses et les gens. J’ai parfois pu aider des personnes à aller plus loin sur leur chemin, à se dépasser. Mais je pense que je tente de faire la même chose dans ce qu’on pourrait mettre dans « la vie personnelle ». Alors si l’on casse ces catégories professionnel versus personnel, on retrouve la respiration qui les transcende et les relie.

Au clair de soi
Dans cette respiration, ce que je crois, c’est que le travail m’a sculptée de l’intérieur, m’a rendue plus compétente professionnellement mais peut-être aussi rendue un peu plus aiguisée, ou un peu plus avisée, là encore pour des choses qui ne connaissent pas des frontières entre professionnel et personnel, comme le discernement. Cynthia Fleury le décrit comme cette « action de séparer, de mettre à part, de différencier pour mieux saisir la spécificité des choses, de ne pas généraliser ». Jamais gagné, mais ça se travaille en cheminant. C’est cette idée qu’il me semble trouver chez Michelle Obama lorsqu’elle écrit en conclusion de son livre « Devenir » : « Je crois que devenir ne signifie pas atteindre une destination ou un objectif donné. Je vois plutôt cela comme un mouvement qui porte vers l’avant, un moyen d’évoluer, une façon d’aspirer en permanence à s’améliorer. »
S’améliorer. Les personnes avec qui j’ai travaillé m’ont parfois renvoyé des reflets que je n’aurais pas souhaités, qui ne me paraissaient pas correspondre à ce que j’étais. Passé le premier moment de refus, j’ai essayé de ne pas éluder la critique. Peut-être que j’étais trop ceci ou pas assez cela, peut-être que j’avais fait une erreur de jugement, pris une mauvaise décision. Mais j’ai essayé aussi de ne pas douter trop, trop vite. Parce que si la remise en question renforce, le doute fragilise pour rien. L’important, c’est d’être le plus clair et le plus honnête possible avec ce que l’on fait, avec les raisons pour lesquelles on le fait. Ce qui aide sur ce chemin c’est alors de se reposer les questions du comment et pourquoi, c’est d’écouter le collègue sûr, l’ami ou l’amant, ceux qui vont oser la parole vraie, même si elle est désagréable.

Être à l’écoute
Ce « mouvement qui porte vers l’avant » me semble cependant intranquille. Il demande d’être à l’écoute de ce qui anime puis n’anime plus, de ce qui nourrit puis se met à détruire, de ce qui nous rend vibrant puis peu à peu s’éteint. Sans crier gare.
Tendre l’oreille. Quand est-ce qu’arrive le moment où les choses se figent, ne vont plus de soi ? Dans son livre « Rupture(s) », Claire Marin avance : « Une existence qui serait réduite à un seul rôle, une seule partition finirait par devenir pure répétition, imitation chaque jour un peu plus caricaturale de ce que nous avons déjà vécu. Ce devenir automate est une vie morte. Il faut résister à la tentation de l’inertie, à la séduction de la matière, résister à la facilité d’une identité figée, ne pas se laisser s’enfoncer dans un mode d’être où plus rien n’est ni vif ni neuf. Bergson nous met en garde : nous ne devons pas nous « laisser aller à l’automatisme facile des habitudes contractées »., nous deviendrions ainsi comiques à notre insu. » Pour éviter l’écueil de l’inertie qui tourne à la fixité, s’il existe bien des choses pour s’entretenir, entretenir le désir d’être là où l’on a choisi d’être, continuer à améliorer ce que l’on fait et comment on le fait, parfois il n’est plus possible d’avancer sans un changement majeur. Aucun changement n’est neutre. Comme le dit encore Claire Marin, « Il y a, dans toute rupture, l’espoir de se trouver et le risque de se perdre. » Parfois le changement prend la forme d’une rupture professionnelle, de celles qui  amènent à miser tout ce que l’on est, tout ce que l’on sait et sait faire, sur une fonction nouvelle à de multiples égards. A faire tapis. J’ai connu deux fois les risques que cela conduit à prendre et l’investissement que cela demande, le sentiment de ne plus rien savoir faire bien alors que j’étais devenue à l’aise au fil des années, de me sentir toujours en queue de peloton, à la traine et à la peine. Avant que petit à petit des repères dans les récurrences n’apparaissent, que je me retrouve à avancer à la bonne vitesse, voire un peu plus vite, en raison des habitudes de condenser le temps, d’en faire plus que les autres pour compenser. Avant aussi que sans bruit et sans que je ne l’invente vraiment, un style d’être et de faire n’apparaisse, aux autres bien plus qu’à moi d’ailleurs, et c’est tant mieux, ça évite de prendre la pose.

Décider
Le parcours qui conduit à décider de changer de voie, pour ne pas dire à changer de vie tellement on peut se retrouver à regarder une face autre du monde, est selon moi long et exigeant, mais il fait partie du chemin et mérite d’être observé. Voici ce que j’en avais dit, avant de choisir de passer le concours d’IEN : « Pendant dix-huit mois, j’ai commencé à chercher la voie d’après. J’ai commencé à brasser longuement les possibilités, les plus proches et les plus étrangères, à les soupeser, les comparer, les observer à l’aune de ce que je savais faire et j’étais. Et puis j’ai interrogé des dizaines de personnes pour avoir leur avis, pour connaitre leur parcours et humer leur quotidien. La quête tendue vers un but, je l’ai transformée en une promenade fraiche et enrichissante. Je me suis risquée à des entretiens professionnels où j’ai mieux vu ce que j’étais devenue. Et j’ai gardé jusqu’au bout trois ou quatre possibilités. Réussir au concours d’IEN a au final choisi pour moi. »
Qu’est-ce qui fait que l’on va finalement décider, de decidere, trancher, dans un sens ou dans un autre ? J’ai souvent eu l’impression que la décision ressemblait à une corde faite de multiples brins, rompus les uns après les autres, silencieusement ou non. Jusqu’au moment où je constatais que le dernier brin n’était plus là. Que j’avais décidé. Que c’était décidé. Qu’un nouveau pas était désormais possible.

Parcours professionnel (3/4) : G comme Grandir et faire grandir