Écrire, pour retenir ce qui échapperait. Écrire, pour savoir ce que l’on ignorait savoir.
Écrire, c’est être. Écrire me donne l’impression de me retrouver. Disparait alors cette idée de pensée et de temps perdus qui s’écoulaient comme du sable entre les doigts. Écrire, c »est faire des châteaux, châteaux de temps, de pensées, château de soi.
Quand j’écris, je me sens être à nouveau, être sujet, à l’écoute de ma pensée comme le dirait Billeter : « la pensée qu’il nous faut sauver […] c’est la faculté que nous avons de nous arrêter et de nous laisser surprendre par quelque chose qui se forme en nous : une intuition, une idée, un enchainement d’idées (1). »
Écrire, c’est aussi devenir. C’est à la fois mettre en lumière ce que je ne voyais pas, ne savais pas encore : « Écrire, c’est dire ce qu’on ne savait pas avant de le dire, c’est pour ça qu’on écrit (2). » (Alexis Jenni) Cela devient un rendez-vous pris avec soi, soit de manière régulière, soit en période particulière, pour voir ce qu’il en ressort ou parce qu’on a un problème ou une décision à prendre.
Entre liberté et plaisir
Pas d’écriture sans pensée, pas de pensée sans liberté, dit encore Billeter, en mots et en actions : « Nous leur donnons deux noms différents parce que la pensée s’exprime par le langage, le plus souvent, tandis que la liberté s’accomplit aussi bien par la parole que par un geste, un acte, une action dans la durée. Il n’empêche que toute pensée est un acte de liberté et que tout acte de liberté est une pensée. »
Si l’idée d’écrire est toujours un plaisir, plaisir de l’attente du moment, si la satisfaction d’être arrivée au bout d’un texte est toujours vive, si la joie est intense quand les mots attrapent l’idée, le fait d’écrire en revanche est souvent pénible. Cela me demande un temps de maturation intérieure qui me désarçonne toujours, puisque je ne sais jamais ni ce qui se passe, ni pourquoi ça ne vient pas, ni combien de temps ça va rester à l’intérieur, inaccessible. Avec l’expérience, je sais que ce n’est pas du temps vide, je sais que quelque chose travaille, se prépare. On retrouve peut-être Billeter et son « nous laisser surprendre par quelque chose qui se forme en nous : une intuition, une idée, un enchainement d’idées ». Difficile aussi, en écrivant, lorsque ce n’est pas ça, toujours pas ça. Avant, enfin !, que ce soit ça. Et que le plaisir arrive.
Ecrire, c’est me dessiner un miroir de liberté pour être et devenir, penser et agir mieux. Savoir que j’ai l’écriture à ma disposition me rassure en plus de m’apporter parfois du plaisir, me donnant une prise sur le temps et les choses, ou la sensation d’avoir une prise sur le temps et les choses, de moins les subir. Même si ce n’est qu’une sensation, même si cette sensation est erronée, tout ce qui renforce et donne confiance pour agir est bon à prendre.
(1) Jean-François Billeter, Le propre du sujet, Allia, 2021
(2) Alexis Jenni, Prendre la parole, Editions du sonneur, 2019