Cet article a été publié en 2000 dans les Cahiers pédagogiques.
Apprendre son métier n’a sans doute pas de fin. Ne pas l’apprendre seul demande de reconnaitre qu’on ne sait pas, qu’on ne s’en sort pas. C’est autoriser les élèves à faire de même.
Ici deux garçons de 16 ans assis près du bureau commentent avec véhémence les résultats du match de la veille ; au fond, un groupe de filles semble boire les paroles de celle qui décrit sans doute fort bien la couleur des yeux de l’aimé ; là, un élève isolé baille ; mon public se limite à quelques paires d’yeux et d’oreilles.
Il faut dire que le spectacle que je leur propose n’est pas passionnant : j’ai choisi un chant préhistorique, je fais bégayer la chaîne hi-fi dont je ne connais pas bien le maniement, tantôt j’hésite, tantôt je me transforme en bulldozer, tempêtant, menaçant pour obtenir un ersatz de silence. Alors que, dans une dernière envolée, je frappe rageusement sur le piano, faisant rebondir un crayon qui traînait par là et éclater de rire le chœur de la 3e 4, la sonnerie retentit.
Une minute plus tard, la salle est vide. Je claque la porte et j’éclate en sanglots. Ainsi s’achève la première heure de cours de ma vie…
Bordélisée
Belle entrée dans le métier, un vrai champ de bataille ! J’ai eu l’impression d’être lâchée seule dans l’arène durant cette année de CAPES pratique il y a 10 ans tout juste, sans l’accompagnement véritable d’un tuteur que cette tâche n’intéressait apparemment pas. Malgré la formation théorique menée en parallèle par des formateurs remarquables qui m’ont beaucoup marquée pour la suite, je suis ressortie très fragilisée par cette année. Le point d’orgue en fut une inspection cassante. Cette image de prof « bordélisée » m’a poursuivie longtemps dans ma tête et me freine toujours lorsque je veux prendre des risques dans l’organisation de mes cours. La petite cicatrice de mes débuts a mis des années à s’estomper.
La solitude de la salle de cours peut durer indéfiniment si on ne décide pas de la rompre. Mais l’accompagnement que je n’avais pas trouvé dans mes débuts, j’ai fait un jour la démarche de le provoquer, comme un défi.
Auteurs, collègues, chefs d’établissement
Dans cette recherche, ce sont d’abord mes lectures qui m’ont ouvert des horizons nouveaux : des idées pour accompagnement. Mais j’ai parfois besoin d’un « service après-vente » au grand marché des idées pédagogiques, avec, je l’avoue, le désir de bousculer les auteurs : « Vous affirmiez dans votre livre que cette idée était LA bonne, que cette démarche était la plus efficace. Enthousiaste, j’ai mis en pratique. Mais voilà, il y a un grain de sable. Alors ? ». J’ai eu souvent des réponses, inattendues et d’autant plus appréciées, à mes interrogations postales ou via Internet . Ah, Internet ! Fabuleux outil, véritable déclic, vertigineuse accélération, ouverture vers tous les possibles… Certes, j’ai lancé dix fois, cent fois plus de bouteilles à la mer qu’il ne m’en est revenu, avec même parfois l’envie de crier « Bon sang, mais il y a quelqu’un d’autre dans ce pays pour mettre en pratique ces brillantes théories ? ! ». Les retours ont été précieux pour moi, rompant une solitude pesante, permettant des liens d’une sincérité possible hors du quotidien, des liens ne rimant pas forcément avec durée mais souvent avec intensité. Sans barrière hiérarchique ou sociale, j’ai pu demander conseil tant à des enseignants qu’à des chefs d’établissements ou des psychologues.
Accompagnement enfin auprès de collègues qui m’ont ouvert la porte de leur classe et à qui j’ai fait de même. La démarche est plus impliquante, il n’y a plus l’anonymat protecteur. Voir mes élèves en cours d’EPS ou de latin m’a apporté un autre éclairage. Je reconnais y avoir volé de nombreuses astuces.
Mais cette recherche ne s’est mise en place qu’à partir du moment où j’ai accepté de demander de l’aide, de faire à nouveau confiance, où j’ai admis le regard d’un autre. J’ai compris par là même que l’on ne peut aider les élèves sans qu’ils aient cette disponibilité, cette attente. J’ai accepté d’être accompagnée, je peux maintenant accompagner les élèves ; j’ai été écoutée, je peux écouter.
Et de l’entraide, j’en redemande, entre individus, entre collègues, entre établissements, pour ne pas avoir à toujours réinventer, pour gagner en efficacité. Je crois aux échanges, je crois aux réseaux.
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